Il parait que lorsque l’on vieillit, l’on s’apaise. Enfin c’est ce que me disent mes parents, et toutes les personnes plus agees que moi que je vois vagabonder dans leurs vies. Ceci est un mensonge, ou bien une demi-verite.
Hier, comme tous les jours precedents de ma vie, a moins que je ne me trompe, je me suis rarement reveillee apaisee. Bien au contraire. La plupart de mes matins ont ete people d’angoisses et d’envies inassouvies, ou que je savais impossible d’assouvir dans l’espace restreint du jour trop court qui s’annoncait. Les annees peuvent passer mais cette sensation de ce que le temps nous est compte ne fait que s’amplifier. Elle ne faiblit pas, bien au contraire. Elle grandit en moi, comme si, a chaque seconde que je depense de mon temps ci-bas, cette seconde etait un ressort qui fait resonner de plus belle le tic-tac d’un reveil ancient cache a l’interieur de mon corps. Non, a vieillir, nous ne nous apaisons pas. Plutot nous apprenons, a chaque instant qui s’egrene de par notre corps que la vie est courte. Etrangement cela la rend plus longue. Paradoxe bizarre qui fait que plus le temps passe moins nous avons envie de dire non a ce qui nous passe sous le nez.
Ce matin est comme les autres, plus angoisses. Alors je me suis levee. A quoi bon gaspiller le refus de mon corps de trouver le sommeil alors que je pourrais jouir des plaisirs d’une nuit presque blanche a prendre la plume que j’ai oublie d’utiliser depuis si longtemps. Ca ou faire un gateau aux pommes comme j’en faisais gamine avec ma mere pendant les fins de semaines. En pietre cuisiniere, et fiere de l’etre (ceci est un mensonge), je n’ai pas la recette du quatre-quarts. Donc j’ai repris ma plume abandonnee depuis si longtemps. Et puis l’idee du gateau, aussi allechante qu’elle puisse etre pour ton estomac, lecteur, n’est pas de bonne augure pour ma ligne. Une autrealternative aurait ete de me regarder un film sur le magnetoscope, pardon le lecteur DVD. Du style Le Roi Danse, ou Chocolat, ou The Russia House, ou bien Trois Couleurs: Bleu, recemment emprunte a la bibliotheque que, malgre mon grand age, je n’ai pas encore touche. Je parle ici pour Trois Couleurs: Bleu. The Russia House est un des compagnons de ma vie. Presque chaque jour de ma vie inclut un moment ou, comme Bartholomew Scott Blair, je repeins un appartement, dans une ville iberique, a attendre que l’amour de ma vie debarque au port voisin et vienne frapper a ma porte. Le desavantage, dans ce dernier cas, aurait ete que je me serais comportee en consommatrice, non en creatrice, ce malgre tous les reves que ce bref temps en face du petit ecran aurait pu genere en moi.
Ce n’est pas que je crois avoir des talents particuliers pour l’ecriture. Plutot une croyance ferme que, quelque pietres nos talents sont, nous nous devons de les honorer, et de faire de notre mieux. Ceci, vous l’aurez devinez, est un des axiomes de vie de mon pere, non un des miens. Etrange comme nous choisissons comme modele de notre vie d’autres vies que nous niions si fermement dans nos plus jeunes temps. Ayant atteint la trentaine, je me surprends a vouloir appeler mon pere dans mes moments d’incertitude, moi qui refusait de m’asseoir derriere lui dans la voiture quand j’etais gamine. Il y a quelques jours encore je voulais l’appeler. Pas de chance. Il etait absent. Dans un sens, ceci a ete une bonne chose. Cela m’a forcee a prendre le courage d’exprimer les sentiments que je lui aurais deverses dans l’oreille. Le lendemain je me retrouvais a me donner un jour ‘librairies’, comme quand je croyais encore que Corto Maltese etait l’amour de ma vie. En fait je me suis mise a courir les librairies après mon Corto Maltese, mon monde imaginaire, ou le monde reel se mele a l’imaginaire et cree des symbioses etranges comme celles entre la politique de la Guerre Froide et les ecrits de vagabondages sur les avenues transcontinentales americaines, entre Calvino et les Rubby’at d’Omar Khayyam, entre les photographies realistes de Doisneau et de Cartier-Bresson et celles bien moins realistes des Other Realities d’un certain Uelsmann, si je ne fais pas d’erreur dans le nom. Images au combine non-realistes qui me font penser a ces photo-montages que mon pere faisait de mon frere et moi quand nous etions plus jeunes, plantant nos visages juveniles au milieu de fleurs non focalisees, memes photo-montages qu’il exigeait de ses eleves a son cours de photographie d’ailleurs, et dont je me suis retrouvee a faire la collection. A bien y penser sont Doisneau et Cartier-Bresson tellement realistes? Je n’en suis pas sure, sur le moment. Europeans de Cartier-Bresson n’est pas exactement une anthologie du monde reel. Ses immortalisations des regards et des gueules des bouchers de Paris et des titis espagnols des annees trente, pour nous qui les regardont avec un retard de vingt, trente, quarante ans, nous parlent de temps passes, que nous ne connaitrons jamais, que nous n’experimenterons jamais dans nos corps. Ces photographies sont des images de muse, des images pour nous faire rever a comment nous desirons ressembler a ces portraits, ou en differer. Non, les photographes ne sont pas des voleuses d’ames, mais plutot des restauratrices d’ames. Elles en generent de nouvelles dans leurs observateurs, dans le photographe. Les photographies sont des peintures du monde. Trop souvent nous oublions de les lire, et nous nous perdons, dans les images, comme le dix-neuvieme siecle se perdit dans les mots doux et violents des Romantiques. Non pas que je croie que le dix-neuvieme siecle etait romantique. Si vous m’en croyez, comme je le pretendais bien fort un de ces derniers dimanches ensoleilles ou je me suis reveillee de ma torpeur inexpressive, discutant le sens de la musique de Bach et de Mozart avec un cuisinier et une organisatrice de pieces de theatre, la vraie époque du romantisme sont les dix-septieme et dix-huitieme siecles, quand le libertinage n’etait pas de mode mais une maniere de vivre, ‘una manera de vivir’, comme me dirait Antonia la Gatidana, une maniere de marcher dans la rue, de respirer les odeurs des corps, des rues et des relents de cuisine. Patrick Suskind est plus romantique que Stendhal et ses elucubrations vaseuses sur comment nous devons nous toucher, ou ne pas nous toucher les mains.
Je regarde les roses jaunes qui tronent sur ma table et voila que je me mets a rever d’un retour du romantisme. Qu’est-ce qui va mal avec moi? Pourquoi acheter des roses jaunes surtout? Des roses devraient toujours etre rouges, n’est-ce pas? Bordeaux, sombres, d’un rouge fonce, equivalent, en rouge, au bleu indigo des foulards des Touareg du Ahaggar profond. Et nous devrions toujours prendre le temps d’aller chercher les gens la ou ils nous arrivent, mon peche a moi. J’ai eu peur de me bruler. Le jour ou il a passé la porte, et quand mon coeur l’a reconnu, je me suis cachee derriere une colonne et ai revetu mon masque d’impenetrabilite ironique. Je me suis vue par la suite en spectacle, parler de banalites mondaines a propos d’un monde reel qui ne me fait pas vibrer. Depuis son depart, j’ai trop de bics. Il n’en avait jamais, a moins que cela ne soit qu’un mensonge, beaucoup de mensonges de jour après jours. J’ai perdu mon voleur de bics, et mon coeur fragile y a pris des frissures douloureuses. Que je ne sais lui cacher. Son regard a penetre jusqu’aux ombres et incertitudes effrayantes qui me peuplent. Pour etre sur que je ne me rendorme pas, pour que je reste eveillee, alerte, ouverte a mes sentiments, mes peurs, la confiance que j’ai envie de donner, la confiance que j’ai envie de retirer. Peut-etre est-ce pour cela qu’il est revenu. Je l’appelle, et il me repond. Je lui parle livres et il me repond livres. Nous parlons theme pour theme. Je lis sa dystopie Dantesque, il me lit dans ma peur du destin. Je lui parle Barcelone, et je vois les rues sombres de quartiers populaires aux petits bars remplir son regard. Je lui parle danse, et je sens la fluidite des corps qui bougent lors de soirees bruyantes. Idee pour idée. Cirque pour cirque. Comment a-t-il devine que ma tete est pleine de danseurs et artistes de rue qui font du bruit dans la rue et chatient les regles de la bienseance urbaine et campagnarde? Comment a-t-il reussi a lire ma folie, mes envies infantiles de tours de carousel?
Non, lecteur, je ne suis pas apaisee. Au contraire. Je reve d’autres endroits. D’autres personnes. D’autres bruits et sons. D’autres musiques, d’autres livres,d’autres mots. D’autres relents. Je reve de temps nouveau ou Justin Timberlake ecouterait et ecrirait aux sons du Badinage de Marin Marais, du Clavier Tempere de Bach, du Miserere d’Allegri, et aux sons sombres du Requiem de Mozart. Je reve d’un monde ou chacun passerait regulierement la nuit blanche a parler et boire, ou a fumer, si cela leur plait, a ressentir le poids et la legerete des moments du jour et la nuit afin de mieux les vivre. J’ai dormi trois heures la nuit passee. Et je me sens en vie. Le monde est a mes pieds. Je suis sure qu’il va s’effondrer. Mais, tant pis, pour un moment au moins, il se plie a mes yeux, mon regard, au movement de mes mains. Je ne suis pas en paix, et c'est cela qui me fait me sentir en vie.
lunes, 6 de agosto de 2007
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